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Faites-nous peur

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[citation]Ambiance musicale[/citation]

13 août 2177.

La date s’afficha derrière les paupières encore closes de Caolan, qui ne daignait pas décoller du lit. La date de ma mort. Il s’était encore saoulé jusqu’au matin ce con, inconscient que j’étais toujours là. Il me prenait pour un spectre, une réminiscence… ou d’autres conneries absurdes qu’on lui avait fait croire pour m’enterrer définitivement.

Mais non. J’étais là. Déjà quatre ans que j’étais devenu prisonnier de son propre corps, ma conscience en sommeil la plupart du temps. J’avais été bien mal remercié pour l’avoir aidé à dézinguer ce sniper. Ma femme était morte, emportée par la maladie. Elle l’avait même embrassé, m’arrachant une pointe de jalousie. Je voyais mon fils chaque jour par ses yeux, qui partait à la dérive sans son père. Et Luke… mon vieil ami était encore plus mort que moi. Toutes mes tentatives pour rentrer en contact avec lui s’étaient soldées par un échec. Il ne m’entendait pas, croyant dur comme fer que je n’étais plus là.

L’enfer sur terre.

~~~

Je me figeai, face au miroir fracturé dans la salle de bain, qui me renvoya mon regard profondément perplexe. J’en lâchai même ma clope, me rapprochant de celui-ci sans bien comprendre. Il y avait la trace d’un impact suffisamment fort pour le fracturer en entier.

- Asher ?

Le gamin me répondit mollement depuis sa chambre, comme à son habitude.
- Quoi ?
- C’est toi qui as cassé le miroir ?
- Tu rigoles là ? C’est ta faute s’il est cassé je te signale ! Tu vas pas m’accuser en plus ?!

Mon regard descendit sur mon poing gauche, dont les entailles profondes étaient encore présentes sur les phalanges. C’était du délire… à quel moment exactement j’avais cogné dans ce miroir et pourquoi ? « Putain, je bois trop. » Sept ans de malheur ! Et en me détournant du miroir, je n’aperçus pas le sourire que celui-ci m’adressait.

~~~

J’y étais presque. J’avais réussi à prendre le contrôle, plusieurs fractions de secondes par jour. Je n’avais plus besoin de tenter de contacter Luke ou d’influencer Caolan. J’arrivais enfin à influencer cette réalité par petites touches. Et, contre toute attente cette nuit-là, les paupières de Caolan s’ouvrirent sur les ténèbres environnantes à la seule force de ma propre frustration.

J’étais enfin libre.

~~~

J’avais l’impression d’avoir pris la pire cuite du siècle en me réveillant à midi. Je me frottai les yeux de ma main bandée, avant de me figer dans mon geste en constatant que tout l’appartement avait été retourné. « Merde. » Par réflexe, j’attrapai mon arme de service planquée sous mon oreiller. « Asher ? » Mais celui-ci ne semblait pas être revenu et était probablement en cours. Alors… qui ? Quelqu’un était probablement rentré par effraction pendant mon sommeil.

L’arme pointée en avant, j’inspectais pièce par pièce avant de me rendre à l’évidence… Personne. Ou alors, il était reparti. Mais le plus étonnant là-dedans, c’était que notre inconnu n’avait strictement rien volé. C’était juste comme si quelqu’un avait été pris d’une frénésie incontrôlable. Je poussai un soupir las. « Putain mais il se passe quoi ici… » Puis, en revenant vers le salon, mon regard fut attiré par une revue posée en évidence sur la table basse, ouverte à une page bien précise.

« Project Avatar » …

~~~

« Byrne, vous êtes en état d’arrestation. » Je relevai la tête, choqué. La CID avait fait irruption en pleine réunion, avec une demi-douzaine d’agents, pour me lâcher sa bombe devant tous mes collègues réunis. « Attendez… Quoi ? » Deux d’entre eux se placèrent derrière moi, de manière ostensible, prêts à intervenir. Je fixai leur chef avec un regard plein de rage. « Je peux avoir un semblant d’explication au moins ? » Nous étions collègues, non ? C’était le minimum qu’ils me devaient.

La vive surprise qui se lisait dans mon regard le fit hésiter un peu. « Vous comptez vraiment faire semblant devant vos collègues, Byrne ? » Un soupir franchit la barrière de ses lèvres. Il semblait comme… déçu, alors qu’il prit le contrôle de l’écran dans la salle de réunion pour projeter des clichés pris depuis plusieurs caméras à la sortie d’Eurotech.

Tout le sang déserta subitement mon visage. Je ne me souvenais même pas avoir mis les pieds une fois dans ma vie dans cette tour… et à l’écouter, j’avais commis un braquage ? « Non, attendez… c’est impossible. C’est pas moi ! » Mais j’eus beau nier avec force, les agents du CID me menottèrent comme le dernier des criminels. Mes collègues étaient autant sous le choc que moi, en les voyant m’embarquer.

Le chef, lui, paraissait blasé. « Ils prônent toujours tous leur innocence… il risque de prendre à perpétuité pour un vol pareil. Je ne donne pas cher de sa peau, personne n’aime un flic derrière les barreaux. »

~~~

« Hey Cao ! Je suis revenu ! » La porte était grande ouverte à mon retour, comme si mon vieux pote m’attendait de pied ferme depuis un moment. Je n’arrivais pas à me départir de mon sourire, même si voir mon reflet déformé dans le miroir brisé de la salle de bain avait quelque chose d’étrange. Je lui ressemblais vraiment trait pour trait, grâce au projet Avatar. « Mec… on va être jumeau maintenant. T’imagines un peu ? » J’ouvris sa chambre, mais Caolan restait introuvable.

Ce fut une autre voix qui me répondit à sa place à l’autre bout du couloir. « Caolan… ? » Asher venait de sortir de sa chambre. Il me détaillait comme s’il venait de voir un fantôme. « Je croyais que tu… enfin je devais… » Je ne résistais pas à l’envie de prendre à nouveau mon fils dans mes bras. « Je suis tellement heureux de te revoir, mon fils. » Je le relâchai pour mieux le regarder, mais Asher me repoussa avec force. « Mais t’es taré ou quoi ?! Arrête de te comporter comme lui ! T’es pas mon père, putain ! » Le regard de peur mêlé de rage qu’il me renvoya me figea de stupeur. Asher en profita pour détaler, me laissant subitement seul.

Vivant, mais définitivement seul.

~~~

- Il est évident que c’est le synchronisateur qui vous a fait vriller. Le plus simple reste encore que nous vous… reconfigurions.
- Comment ça, me reconfigurer ?
- Ne vous en faites pas. Nous avons des DS très performantes pour aider les détenus à retrouver une vie normale, vous serez sortis en un rien de temps.

Le sourire suffisant du docteur, tandis qu’il m’accompagnait, ne me disait rien qui vaille. J’avais déjà traversé ce couloir de la mort en tant que flic, et je savais très bien ce qu’ils y faisaient… Les hurlements des détenus m’avaient hanté à plusieurs reprises, alors qu’ils suppliaient que tout s’arrête, branchés en permanence à des DS pour les… reconfigurer.

Bientôt, ils me feraient oublier jusqu’à mon propre nom.
Et tout ça pour un crime que je n’avais même pas commis.
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Echo JägerFireflie | Essaim
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« Alors ma jolie… t’es réveillée ? » Ses doigts métalliques s’enroulèrent autour d’une de mes mèches blondes. Je ne le voyais pas dans ces ténèbres profondes qui constituaient désormais mon quotidien, mais je pouvais entendre son sourire sadique rien que dans sa voix. Je sortis de ma torpeur dans un sursaut incontrôlable, chassant les dernières brumes de l’inconscience. Je tentais de me reculer pour échapper à sa prise, mais j’étais si solidement attachée à mon siège que je ne pus que tourner la tête sur le côté, dans un mouvement de dégoût impossible à réprimer. Son rire parcourut ma peau. Si proche, bien trop proche… « On dirait que tu as encore un peu d’énergie pour te débattre… Continue. Ça me donne encore plus de satisfaction quand tu réagis comme ça. » Putain de sociopathe, il était complètement taré.

Je tremblai de tout mon corps, de façon complètement irrépressible. Je ne savais pas exactement depuis quand j’étais attachée là, mais la faim, et surtout la soif, avait fini par me rattraper. Mes deux tortionnaires venaient régulièrement me réveiller, si j’avais le malheur de vouloir me reposer. Il ne m’avait rien fait de plus depuis des heures, peut-être même des jours, depuis qu’il m’avait arraché mes yeux. Il… attendait que la viande s’attendrisse, comme il me l’avait susurré à l’oreille à un moment donné. Je n’avais pas envie de leur donner cette satisfaction, mais le savoir ne m’avait pas aidé à me montrer plus résistante à la torture et aux sévices. Je commençais doucement à atteindre mes limites. Et c’était précisément ce qu’il voulait.

« D’après toi, depuis combien de temps tu es là exactement ? » Il me posait cette question qui n’avait pas cessé de me hanter avec une telle désinvolture. J’avais fini par me murer dans le silence, mais il ne devait pas en être à son premier coup d’essai, parce qu’il savait précisément ce qui risquait de me motiver à parler. Mes lèvres, craquelées par la soif, se déchirèrent dans un goût de fer quand je pris la parole d’une voix rauque : « Je ne sais pas… à toi de me le dire. » Il s’était retourné vers moi. Je le compris uniquement au son de sa voix. « Tu as encore assez d’énergie pour te montrer insolente ? Ça me fait rire. Et bien… figure-toi que ça fait à peine quarante-huit heures. Tu crois qu’il en faudra combien pour que quelqu’un te retrouve ? » Je restais bouche bée. Deux jours… seulement deux jours ? Pour moi, plongée dans le noir, désorientée, avec ma seule souffrance pour compagnie… J’aurais parié sur une semaine au moins. J’eus une pensée brève pour Wolfgang que j’avais chassé, quelques jours plus tôt, quand il avait tenté de m’avertir sur la voie que j’empruntais. Même lui ne reviendrait pas me chercher.

Je me débattis un peu dans mes liens, sentant un sanglot étreindre ma poitrine. Je tentais de le réprimer comme je le pouvais, mais rien n’échappait à mon bourreau. Il se délectait du moindre signe de faiblesse. Sa voix, soudainement, était bien plus proche. « T’as remarqué que je suis venu seul aujourd’hui ? » Elle avait un ton doucereux qui me figea d’appréhension. « Depuis que t’as essayé d’envoûter mon collègue en lui faisant pitié… c’était bien joué d’avoir pris cet implant d’œil de sirène. Je l’avais pas remarqué plus tôt. Mais dommage pour toi, il a fallu le relever en plus de t’arracher tes jolis petits yeux. Et maintenant, il y a plus que toi et moi. On va pouvoir s’amuser en tête-à-tête. » Je me débattis avec d’autant plus de force, en sentant ses mains remonter sur ma peau. Un hurlement de terreur m’échappa, avant qu’il se mette aussitôt à rire. « Je rigole ! Qui aurait envie de toi ? Tu t’es tellement pissée dessus que l’odeur est insupportable ! » Il s’écarta soudainement, me donnant à nouveau de l’air. Mon pouls était affolé, alors qu’il m’avait à peine touché. « C’est quoi ce lien à ton poignet ? Putain… tu pensais pouvoir t’échapper avec ça ? » Je me figeai de terreur, à entendre l’agacement pointé dans le son de sa voix. « Non… je… » Il tira tellement sèchement dessus pour le sectionner qu’un cri m’échappa. « Bon, tu sais quoi ? J’en ai marre de tes gadgets. On va te retirer tous tes implants, ce sera plus sûr. »

J’hyperventilai pour de bon quand je l’entendis s’éloigner pour se rapprocher rapidement ensuite. Et bientôt, chaque coup de marteau qu’il porta à mes mains m’arracha un hurlement de douleur. Jusqu’à ce que je n’aie plus la force de crier.

Jusqu’à ce que les ténèbres m’accueillent à nouveau.
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Luke AldridgeKrey Family | Admin
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[highlight]Luke ! Luke ! Réveille-toi ![/highlight]

Je sursaute, ouvrant les yeux. Il fait sombre, tellement sombre que c’est à peine si je vois mes propres mains. La lune est bien levée dans le ciel, mais elle est cachée par de lourds nuages annonciateurs d’un orage à venir. Je tends la main, essayant sans succès d’effleurer les filaments de brume qui m’entourent, qui s’enroulent autour de moi, comme prêts à m’étrangler, à m’étouffer.

[highlight]Avance Luke. Il faut les retrouver.[/highlight]

Je bats des cils, alors que je réalise que je suis entouré de part en part. Des … haies ? Il me faut bien quelques instants pour que je finisse par comprendre. Je suis dans un labyrinthe. Mon estomac se noue. Je dois les retrouver ? Mais qui ? Il y a tellement peu de monde qui compte maintenant. Et, avant que j’ai le temps de réfléchir, j’entends un hurlement au loin. Et un [highlight]papaaaa[/highlight] que je reconnaitrais entre mille.

Et je commence à courir. Sans avoir la moindre idée d’où je vais. Un premier cul de sac. Puis un autre. Infoutu de me souvenir comment faire dans un labyrinthe alors que maintenant, c’est Riley que j’entends m’appeler. Et la brume se fait plus dense, comme si elle me collait à la peau et me ralentissait. J’ai l’impression de peser une tonne, alors qu’elle déposer une pellicule humide sur mes épaules.

Un cri de terreur résonne tout autour de moi. [highlight]Au secours ! Aide-moi ![/highlight] Je me fige, le cœur battant à toute vitesse, alors que je tourne à droite. Puis à gauche. D’un coup, je sens qu’on m’attrape le pied et je m’étale de tout mon long. Une ronce m’entoure la cheville, puis le mollet. Elle s’incruste dans ma peau et je dois tirer de toute mes forces dessus pour l’arracher à la haie. Haie qui se transforme, à mesure que passent les secondes. Je me relève, essoufflé, alors que je réalise que les murs se rapprochent aussi petit à petit.

Vite. Je dois les trouver. Et sortir d’ici.

Je fais un pas et une ronce s’enroule autour de mon poignet, se détache de la haie pour s’enfoncer sous ma peau cette fois. Je laisse échapper un cri de douleur alors que je tire dessus sans succès pour m’en débarrasser. Je peux juste la voir fusionner avec mon bras, les yeux écarquillés d’horreur.

[highlight]LUKE ! Mec ! Aide-moi ![/highlight] Cette fois, c’est la voix de Caolan. Ou d’Angus. Impossible de les dissocier. Je repars de plus belle, ignorant la douleur, alors que les ronces m’écorchent désormais les joues, les bras, me font saigner à chacun de mes pas.

La brume semble comme s’ouvrir devant moi, comme pour me guider dans la bonne direction. Jusqu’à ce que je me retrouve à une intersection, le souffle court, le sang perlant sur mes joues. D’un coup, je les entends. Mes enfants à gauche. Mes frères à droite. Et j’entends leurs hurlements de douleur, leurs appels à l’aide. Mais je suis figé. Incapable de bouger. Incapable d’aller dans une direction ou une autre.

Et je sens les ronces grimper le long de mes jambes, m’ancrer dans le sol alors que les épines m’écorchent la peau, que le sang s’écoule un peu plus. Les ronces s’enroulent autour de ma taille, alors que j’essaie, sans succès, de me défaire de leur emprise. Je tire dessus de toutes mes forces, mes mains s’entaillant sans que j’arrive à faire quoi que ce soit. Et, alors que je continue de me débattre, les ronces s’enroulent autour de mon cou. Je peux sentir leur contact sur ma peau, alors que leurs voix se font plus diffuses, comme un murmure lointain que je pourrais jamais atteindre.

Je commence à étouffer, alors que l’étreinte des ronces se resserre autour de ma gorge. Je peux même plus hurler, leur dire que je suis désolé, que je pourrais jamais les retrouver. Et la brume m’entoure à son tour, comme pour m’empêcher de distinguer quoi que ce soit alors que je continue, malgré tout, à me débattre jusqu’aux dernières secondes.  

[highlight]Luke ! Luke ! Réveille-toi ![/highlight]
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Eryne Muller
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[bloc]« C’est l’histoire d’une petite fille, elle avait entre six et sept ans, elle avait de beaux yeux bleus et de longs cheveux blonds. Elle vivait à Berlin (une grande ville en Allemagne), avec ses parents, tous les deux très occupés comme les tiens, si bien qu’elle ne les voyait pas beaucoup. Heureusement, elle avait une belle peluche, aussi grande que toi ! Une espèce de dinosaure rose, un peu flasque, mais qui était tout doux et bien moelleux. Elle l’appelait Monsieur Dumm à cause de l’air qu’il renvoyait quand on le regardait. Il avait l’air un peu crétin tu vois. Elle l’adoooorait. Vraiment. Elle ne passait pas une nuit sans lui et quand elle rentrait de l’école, elle allait toujours lui faire un câlin, ou bien elle passait un peu de temps à parler avec lui de tout et de rien.

Mais surtout, elle trouvait Monsieur Dumm très intelligent. Il lui donnait pleins de conseils, la nuit, pour qu’elle puisse s’endormir paisiblement. Oui, elle lui parlait et il lui répondait, d’une voix un peu éraillée, un peu aigüe, un peu flippante, mais elle le trouvait tellement amusant. Elle devait à Monsieur Dumm de rester entière. C’est bien connu, la nuit, un monstre rôde autour du lit et pour s’en préserver, il lui disait continuellement de dormir sous la couverture, en prenant garde à ce qu’aucune partie de son corps ne dépasse. Rien, pas même un orteil, sinon le monstre aurait tôt fait de le lui manger !

Oh, ce n’était pas simple. Parfois, alors qu’elle était en train de s’endormir, elle avait l’impression que le monstre essayait de rentrer sous la couverture. Elle sentait ses pattes qui marchaient sur son corps protégé par le tissu, comme ça. Comme si quelque chose la tâtait pour trouver une faille. Le monstre appuyait là, sur ses chevilles, ici, sur ses jambes, puis remontait sur son nombril et sa poitrine et venait toucher son cou, comme une petite araignée un peu lourde qui se déplaçait au-dessus du drap. Il la palpait doucement, mais sous la couverture, elle ne risquait rien selon, Monsieur Dumm. Pourtant, dans la chaleur moite de sa respiration emprisonnée sous le tissu, la petite fille pleurait chaudement en tenant sa peluche, se forçant à ne pas bouger et à ne pas crier. Elle était terrifiée, elle voulait que ça s’arrête, que le monstre s'en aille et arrête de marcher sur elle. Il lui était impossible de fermer l'œil tant qu'elle sentait cette main qui appuyait sur la couverture.
Un matin après plusieurs jours à ne pas bien dormir, alors que la fatigue l’avait finalement terrassée cette nuit-là, la petite fille arriva au petit-déjeuner en traînant des pieds, baillant aux corneilles à s’en décrocher la mâchoire.

- [merc] Mais qu'est-ce que tu as fait à tes cheveux ??[/merc] demanda sa mère interloquée. [civil] Mes cheveux ?[/civil] Elle ne comprenait pas de quoi parlait sa maman. Cette dernière passa sa main dans sa tignasse, enlevant de larges mèches coupées n'importe comment, les laissant tomber par terre. La petite fille n'eut pas le temps de s'expliquer, elle fut punie dans sa chambre pour le reste de la journée, sa mère récupérant le grand couteau sous son lit plein de cheveux blonds. [civil] Monsieur Dumm…[/civil] pleurnichait-elle. [civil] Monsieur Dumm….[/civil] Et la peluche lui répondit, d'une voix mauvaise : [corpo] Chut petit laideron aux cheveux mal dégrossis. Je t'avais prévenu, le monstre coupe tout ce qui dépasse de la couverture. [/corpo] La petite fille jeta la peluche sur son lit, tandis qu'elle s'installait devant sa petite coiffeuse pour observer ses cheveux. Elle remarqua que sur son cou, tout autour de sa petite gorge délicate de colombe, il y avait des pointillés dessinés au feutre noir. [corpo] Le monstre n'a pas eu le temps de te couper la tête mais il avait déjà dessiné son tracé. Qu'aurait-il fait d'une tête aussi laide ?[/corpo] Rouge de colère, la petite attrapa sa peluche et la lança par la fenêtre. Et jamais plus elle ne s'endormit sans prendre garde à ce que rien ne dépasse de la couverture. Alors, Monsieur Dumm choisit une autre famille. »[/bloc]

Eryne fit un sourire complice à la petite fille qui était dans son lit, la couverture remontée jusqu'à son menton. Elle tenait une peluche, une espèce de dinosaure rose, un peu flasque, mais qui était tout doux et bien moelleux. Elle l’appelait Monsieur Dumm à cause de l’air qu’il renvoyait quand on le regardait. Il avait l’air un peu crétin et elle l’adoooorait. Vraiment.

- [outlaw] C'est pas gentil d'avoir choisi monsieur Dumm en exemple.[/outlaw]
- [civil] C'est toi qui voulais une histoire pour Halloween, maintenant, Abi, au dodo ! Sinon tu seras un petit laideron demain toi aussi.[/civil]
- [outlaw]Tu es méchante Eryne. [/outlaw] dit la petite en rigolant. Eryne l'embrassa sur le front et ferma la porte derrière elle.

Cette petite était maligne, songea-t-elle en allant s'affaler dans le canapé. Sa mère ne tarderait pas à revenir de sa soirée et elle pourrait rentrer chez elle, dans l'appartement voisin. Ce n'était pas la première fois qu'elle faisait la babysitter occasionnelle pour son amie. Il n'y avait que de la merde à la télé, aussi finit-elle par s'endormir. Ce fut un petit picotement sur sa cheville qui la réveilla. Elle se gratta machinalement avant de sentir quelqu'un contre elle.

- [civil] Abi ? Tu ne dors pas ?[/civil]
- [outlaw] J'ai entendu un monstre.[/outlaw]
- [civil] Je savais que je ne devais pas te raconter d'histoire qui font peur.[/civil]
- [outlaw] Maman rentre bientôt ?[/outlaw]
- [merc] Maman est là ![/merc]

Eryne fut soulagée de refiler le bébé et l'eau du bain à la mère de la petite. Elle avait peut-être déconné en lui racontant une histoire qui mettait en scène sa propre peluche. Elle rentra chez elle, la jambe droite engourdie. Elle avait dû dormir trop longtemps dessus et il n'y avait plus de sang dans son extrémité, voilà tout. Dans la douche, elle se relaxa avant d'aller dormir. Sa cuisse présentait un petit trou rouge, comme si elle avait saigné, comme si on l'avait piqué avec une aiguille. Et là, quelque chose attira son regard :

Un beau tracé en pointillé séparait sa cheville de son mollet.
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Virgil Parize
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[subtitle]FaKe FriEnDs[/subtitle]
C’est par là !

Le quatuor se précipite, le plus robuste, Zogo, devant, pour anticiper d’autres pièges. Des flèches empoisonnées, des trappes sous les pieds ou lames qui tombent du plafond, ils ont tout eu.

Virgil, ici Link, son truc, c’est l’agilité. Le ninja du groupe. Puis il y a Lys en magicienne et Kara en tir. Autant dire qu’ils ont toutes les cartes pour réussir leur mission.

Et ils réussissent. Les voici qui entrent au cœur du temple. Un enchaînement de percussions prouve qu’ils sont au bon endroit, et Link a un sourire satisfait en observant autour de lui. L’humidité qui colle les vêtements à sa peau, l’odeur de poussière, de renfermée. Il est Link.

Face à eux, une estrade. Dessus, la tant convoitée relique, un orbe étincelant. Pour le récupérer, il leur faudra passer cette série d’obstacles qui semble tout droit tirée d’un cirque.
Link s’avance. Son corps est agile, il peut le sentir, et il lui faut le minimum d’efforts pour s’élancer et passer ce dernier niveau.

Ses pieds touchent la terre poussiéreuse, face à leur réussite, et les cris ravis de ses camarades l’encouragent à avancer. Naturellement, il descend un levier, qui fait remonter un sol permettant aux siens de le rejoindre.

Ses mains s’élèvent, le cœur battant, frissonnant, il laisse une fraction de seconde s’égrener, le temps de savourer cet instant, et pose ses paumes sur l’orbe.

Et la douleur.

Il ne hurle pas. Mais ça le traverse des pieds à la tête, si bien qu’il pense pendant deux secondes que son corps s’est fait trancher en deux. Ses yeux se révulsent, le souffle se coupe.

[error]# Error : System Failure[/error]

STOP STOP !

Le casque est arraché de son crâne et jeté au loin. Claquant contre le mur, il s’écrase au sol, brisé, et Virgil se redresse de son siège de gamer, hébété, secoué de tremblements. Il agite ses bras, ses doigts, essaie de retrouver ses sens. La douleur s’évapore, mais il est à bout de souffle, et son t-shirt est collé à sa peau, trempé de sueur.

Putain … c’était quoi ça …

Il passe une main fébrile dans ses boucles.  Il en avait carrément oublié où il était. Il en a fait, des jeux réalistes pourtant, mais là … Impossible de savoir combien de temps il est parti.
Une brève grimace tire son visage au contact de sa main sur ses cheveux. D’un regard, il comprend: des traces de brûlures, au creux de ses deux paumes. En retirant son casque ?  

Plus jamais il y touchera.


---———---


L’appartement est calme. Jamais plongé totalement dans le noir pourtant, avec des leds qui brillent ici et là et les lumières de la ville perçant à travers le store, spectatrices silencieuses d’un Virgil endormi.

Reviens … reviens s’il te plaît …
Hm-mpf
On a besoin de toi.

Un contact, comme une caresse, sur son visage.
Ses yeux s’ouvrent, il se redresse d'un coup.

Frisson.

Quoi ?

Il parcourt rapidement sa messagerie, les notifications qui apparaissent devant lui. Pas d’appel. Il supprime un message pop up du jeu dans la foulée.

[notif]# Nouvelle entrée :
Votre partie est toujours en pause. Reprendre ? [/notif]

Dans un nouveau grognement, il se laisse tomber en arrière, paupières de nouveau closes.

C’était sûrement rien.


---———---


Link … Link …

Il entend des sanglots. Ses mains contre ses oreilles n'étouffent pas le bruit. En même temps, des murmures indistincts, et il est prêt à parier qu’il s’agit de Zogo et Kara.

Ca ne s’arrête pas.

Monsieur ?

Ca ne s’arrête pas.

Link, je t’en supplie …
Monsieur, ça va … ?

On touche ses mains et il a un brusque mouvement de recul. Les gens ont une exclamation. Il cligne des yeux, revient à lui. Il est au milieu d’un passage piéton. Certains lui jettent des regards inquiets. D’autres filment la scène, s’attendent sûrement à voir quelque chose de fou.


---———---


Là, comme ça, je pense à un début de cyberpsychose, même si ce serait étonnant. Tu n’as même pas atteint tes capacités de stockage. Tu dis que c’est arrivé après avoir joué à un jeu ?

Il hoche la tête, se gratte nerveusement le bras. Ça fait une semaine. Il n’en dort plus la nuit. Il a parfois l’impression de voir des ombres. Il sent qu’il est au bord du précipice, à la limite entre ces deux mondes. Et il est terrifié à l’idée de sombrer lentement dans la folie.

Il va falloir faire des tests approfondis. Tes constantes sont bonnes. L’interface codé de ta console ne montre aucune anomalie. Les messages que tu vois apparaître ne sont pas dans ton historique.
Et … mes mains ?

Il exhibe ses paumes. Les brûlures y sont plus larges encore, plus douloureuses, enroulées dans de la gaze. Ca lui fait un mal de chien.
Le médecin hausse une épaule.

J’ai fait l’ordonnance. Mets de la crème et prend les comprimés. Ça devrait vite disparaître.


---———---


[notif]# Nouvelle entrée :
Votre partie est toujours en pause. Reprendre ? [/notif]

On est là, Link … On est là … On te lâchera pas. On te lâchera jamais.
Laissez-moi … laissez-moi tranquille. Foutez-moi la paix !

Ses joues sont trempées de larmes et ses doigts crispés dans ses cheveux. Il lâche un cri, se frappe le crâne. Prostré dans un coin de son appartement. Il crève de chaud, transpire par tous les pores de sa peau. Les voix tonnent dans sa tête, il efface les messages pop-up qui ne cessent de réapparaître devant ses yeux. Il sait plus l’heure qu’il est, ni vraiment qui il est. Virgil, Link, Link, Virgil.

A présent, il ne sait plus.

Ca s’arrête pas.

Link … Reviens …


---———---


Reviens …

L’outil est là, face à lui. Posé, bien en évidence, sur son atelier. Il le fixe, absent, de la bave au coin des lèvres, les voix toujours actives dans sa tête. Là, c’est une mélodie, chantée par la voix de Lys, qui prend toute la place dans son crâne. Une douce, douce comptine.
Ses doigts s’y reprennent plusieurs fois avant d’attraper le tournevis.

Je vais vous faire taire. Vous allez vous taire, qu’il marmonne inconsciemment.

Il tombe face à son miroir qu’il a brisé plus tôt. Ne se soucie pas du verre qui se plante sous ses pieds et genoux. Positionne fébrilement le tournevis. Devant son oeil. Il respire fort, dans un état de trans qu’il n’a jamais connu de sa vie. Dans son autre main, un marteau.

Je vais vous faire taire … Je le jure …

Une grande inspiration. Le dernier instant de lucidité lui échappe quand il entend un nouveau sanglot. D’un geste brusque, il frappe le tournevis du marteau. De toute la puissance et le désespoir qui l’anime.

A peine le temps d’un sursaut.

Le corps s’écroule.


---———---


L’inspiration est douloureuse, comme s’il sortait la tête après avoir été immergé sous l'eau pendant trop longtemps. La lumière est aveuglante, ses sens sont à fleur de peau. Il ouvre grand les paupières, perdu, terrifié.

Hey, hey, Link, ça va, tout va bien !

Ses mains s’accrochent à ce qu’elles peuvent. Des bras. Il papillonne des paupières, geint, tousse, reprend le contrôle. Il sent la douleur des brûlures contre ses paumes. Son coeur, battre la chamade. Sous son corps, de l’herbe, fraîche.

Je … je …
Bordel on pensait t’avoir perdu pour toujours !
Laissez-le respirer, laissez !

Il sent une main se plaquer contre son front. L’apaisement survient peu de temps après. Comme un nouveau souffle.

Qu’est-ce que …
Tu es en sécurité. On avait dit qu’on te lâcherait pas. Tu as gagné, Link.
Gagné ?

Il reconnaît finalement les visages. Zogo, Lys, Kara. Ils sont tous là. Une vague de soulagement étrange le submerge. Lys se penche vers lui, enveloppe son corps dans ses bras. Son parfum est enivrant, arssurant. Link est confus, toujours. Mais il se remet totalement à la présence bienveillante de ses amis. Sa main se pose contre le dos de la jeune femme.

On est là, Link. On est là.

On te lâchera pas.


Jamais.

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Come out, come out wherever you are ♫

La litanie infantile résonne dans son esprit en un murmure entêtant, le timbre angélique d’une petite fille qui serine les paroles d’une chanson pour enfant rythmant ses pensées invasives. Son regard se perd à l’horizon et il pourrait presque la voir danser au loin sur cette chansonnette dont elle entonne les quelques vers, sa robe couleur azur virevoltant autour d’elle pendant qu’elle sifflote :

And meet the young lady who fell from a star ♬

Il hoquette silencieusement lorsqu’il est le témoin d’une métamorphose morbide : lentement le vêtement se tâche de sang, le teint de porcelaine de l’enfant se couvre d’une saleté crasse aux reflets carmins, ses sublimes iris bleus perdent leur éclat pendant qu’un rampant infâme fait son chemin en dehors de son orbite, ses mille-pattes grouillant jusqu’à recouvrir son visage meurtri de plaies purulentes. La course joyeuse qu’elle avait entamée se stoppe net alors qu’elle s’écroule mollement au sol, sa jambe gauche sectionnée au moment de la chute l’obligeant à ramper pour continuer d’avancer. Ses mains dont les doigts sont brisés cherchent tant bien que mal des prises au sol pour progresser dans sa direction et ses mots autrefois si guillerets se muent en râles d’agonie :

She fell from the sky, she fell very far
And Kansas she says is the name of the star ♪

Son ton n’a plus rien d’innocent, troqué pour une supplique terrifiée et terrifiante d’une fillette implorant qu’on l’épargne. Derrière elle, un million d’insectes grouillants gagnent du terrain et recouvrent la moindre once de sa peau décharnée. Et alors qu’il ne reste presque plus rien d’elle, sa voix sonne une dernière fois avec une clarté morbide :

Kansas she says is the name of the star ♫

***

La poigne délicate qui se pose sur son épaule l’extirpe de ses songes non sans provoquer un bref sursaut de panique. Retour abrupt à la réalité, il faut un moment à Viktor pour reprendre ses esprits. Il cligne des yeux pour chasser les visions d’horreur imprimées sur sa rétine avant de se rendre compte qu’il est assis à la place passager de leur véhicule, en planque depuis plusieurs heures : « Vik’, tout va bien ? ». Elle le questionne et il hoche machinalement la tête en inspirant profondément : « Oui… Je crois… » « Ecoute si tu ne le sens pas, je peux- » « Tout va bien ! » « D’accord… Dans ce cas, c’est l’heure… » Parce qu’elle le connaît sur le bout des doigts, Jill n’insiste pas et recule en portant la main à sa ceinture pour dégainer son arme à feu. D’un signe de la tête, elle désigne l’immense bâtisse devant laquelle ils se sont garés, ancien abattoir désaffecté dont les murs menaceraient presque de s’effondrer sous le poids des années. Sans tergiverser, il lui emboîte le pas et en silence, ils pénètrent dans l’antre abandonnée…

Progressant prudemment dans le hall principal, il ne peut s’empêcher de frotter nerveusement son avant-bras, mouvement frénétique qui attire l’attention de sa partenaire : « Un problème ? » « Je déteste les insectes… ». L’endroit étant insalubre, ils peuvent discerner les cloportes grouillant dans les coins et les mouches bourdonnant autour d’eux, sans doute attirées par la viande de synthèse laissée en putréfaction çà et là : « Peut-être qu’il n'a pas tort ! Avec ce qu’ils ont fait à sa fille… Et ce ne sont que des désosseurs, ils ne manqueront à personne ! » « Il a fait plus d’une vingtaine de victimes ! On ne peut pas le laisser agir impunément ! ». Jill était définitivement trop honnête pour ce monde : à Cloud City, un psychopathe qui déglingue des désosseurs en exposant leurs corps rongés par des insectes pourrait limite être considéré comme un héros par la population locale. Ajoutant à cela que sa vendetta trouve sa source dans la perte de sa fille victime de ces charognes abjectes : le gars pourrait prétendre à ce qu'on érige une statue à son effigie en plein cœur de Grand Cloud. Mais pas pour Jill et, bien malgré lui, pas non plus pour Viktor. Pourtant, ils avaient visionné le BD horrifique réalisé par les tortionnaires de la gamine n'ayant eu comme refuge à la barbarie qu'une comptine ridicule : avec ce qu'ils lui avait fait subir, ces bâtards méritaient leur sort ! Mais malgré l’atrocité des crimes commis à l’égard de la petite fille, l’inspectrice avait été claire : la justice se devait de rester aveugle, quelle que soit la légitimité des représailles.

***

Leur avancée les amène à se séparer. Lui s’engage dans un couloir seulement éclairé par les lueurs de la pleine lune, suivant les traces de sang séché au sol et qui témoignent d’une masse ensanglantée ayant été traînée sur les quelques mètres du corridor.

Come out, come out wherever you are ♫

La voix crystalline de la petite fille fait soudainement écho derrière la double porte battante au bout du passage, nouant sa gorge de stress alors qu’il réhausse la mire de son revolver. Un cafard se pose sur son poignet d'un battement d'aile mais il le chasse d’un mouvement brusque, secouant la tête pour éloigner les mouches dont la présence se fait plus oppressante.

And meet the young lady who fell from a star ♬

Ses pas se font plus pressants, son cœur bat dans ses tempes alors qu’il réduit la distance avec la sortie.

She fell from the sky, she fell very far ♪

D’un coup d’épaule, il défonce l’ouverture et fait irruption dans la salle suivante, ébloui par les projecteurs lumineux accrochés au plafond. Déstabilisé, il regarde autour de lui pour ne voir que des corps en charpie pendus à des crochets de boucher. Organes à vif, crânes éclatés : certains tas de viande n’ont presque plus rien d’humain. De leurs plaies semblent grouiller des vers, les entailles dans leur chair servant de refuge à des hordes d’insectes volants. Perturbé, il n’entend pas les pas de l’ombre qui se glisse derrière lui ni n’anticipe le coup violent qui le fait vaciller alors qu’une voix d'outre-tombe souffle : « …Kansas she says is the name of the star ! ».

Dans sa perte d’équilibre, il arrive à attraper le bras de son agresseur, l’entraînant avec lui dans une chute vertigineuse : un charnier, une fosse où d’autres corps amassés ont été jetés en pâture à mille bestioles anthropophages. Il lutte entre les cadavres, serre la gorge du responsable de ce macabre spectacle, l’étouffe au milieu des dépouilles de ses victimes. Leur poids les entraîne vers le fond, noyés sous la masse des restes humains qui les submerge. Quand il ne sent plus pulser sous ses doigts la vie de celui qu’il assassine, il est déjà trop tard pour espérer remonter à la surface et attraper le rebord de ce gouffre. En guise d’ultime tentative de survie, il tend la main en l’air et tente vainement de souffler un appel à l’aide alors que sur ses lèvres rampent les cloportes. Et alors que sa vision se trouble, il croit apercevoir au dessus de lui la silhouette hantée de l'enfant qui le toise du regard, spectatrice fantasmée de sa détresse et qui fredonne nonchalamment :

Come out, come out wherever you are ♫
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Faites-nous peur - Page 2 O53rFaites-nous peur - Page 2 J9m4Faites-nous peur - Page 2 JtohFaites-nous peur - Page 2 5bqt

[subtitle]Projections NARCISSIQUEs[/subtitle]Il lâche un soupir satisfait en s’écrasant dans son canapé.

Honey, allume-moi ça, s’il te plaît, lâche-t-il après une gorgée de vin.

Le projecteur envoie face à lui une lumière vive. Il est fou d’excitation. Ce nouveau bijou lui a été vendu une petite fortune, il compte bien le rentabiliser, au moins jusqu'à lassitude.

Un Projecteur de Souvenirs.

Le fameux commercial a fait toutes les manipulations pour que l’application puisse acquérir tous ses souvenirs. A la limite de la date de pose de sa console … et peut-être plus loin encore, avait-il dit avec un sourire. Mieux encore que les implants de caméra.
N’est-ce pas là la pointe ultime de la technologie ? Jakob est comme un gamin devant son nouveau jouet.

Un hologramme apparaît devant ses yeux. Il verrouille son choix sur la date d’une soirée déjantée qu’il a vécu il y a deux mois, puis valide.
S’enfonçant dans son fauteuil, il cale sur ses yeux les lunettes venant avec, garantissant une immersion plus intense encore.

Il se sent aspiré, comme s’il tombait dans un précipice. Ses doigts se serrent autour de son verre, il lui faut une seconde pour s’adapter.

Le temps de cligner des yeux.

Un rire lui échappe.

La musique est forte. Partout autour de lui, des corps qui bougent, qui ondulent. Des verres qui se vident. Des femmes qui sourient, à moitié nues. Des hommes, pas dans un meilleur état.
Son corps virtuel évolue avec aisance sur la terrasse couverte de son appartement. Il se souvient. Mais c’est agréable de revivre.

Hello beau gosse …

Il lui fait un clin d'œil, le beau rouquin, avant de se faire attraper le visage par une brunette pour se faire manger la bouche. Jakob les observe sans honte. C’est ça, ses meilleures soirées. Plus de limites. Des êtres humains, de la luxure, de la gourmandise.

La soirée continue, criante de réalisme, et Jakob se laisse vivre, suit son propre corps, spectateur à la première personne. Les verres s’enchaînent, il se voit s’enfiler plusieurs rails de synthcoke. Il titube, rit aux éclats, embrasse un type qui passe là, en repousse un autre sur son chemin. Il s’en souvient, aussi, de ça.


Oh, wow, baragouine-t-il, enfoncé dans son canapé.

Le violent coup qu’il envoie à un mec, l’éjectant dans son jacuzzi, il s'en souvient pas. Il y a quelques exclamations, l’invité se fait rapidement sortir avant de se noyer et quelques regards inquiets sont portés sur Jakob.

Vous avez quoi, hein ?! Vous voulez quoi ?!

Son verre vole à travers la terrasse.

Il fronce les sourcils derrière ses lunettes. Il a peut-être abusé, ce soir-là. Il s’en souvient même pas.

Bande de suceurs ! Ouais ! Vous êtes tous là parce que vous me sucez la queue ! Parce que vous voulez ma tune, pas vrai ? Un peu de ma rayonnance, de mon succès, hein ?!

Les lunettes sont retirées au moment où il crache sur la personne la plus proche. Merde.

J’suis un con, putain.

Il fronce le nez, arrête la projection. Parfois, il se met mal à l’aise.

Il fige ses yeux face à lui. Contre le mur blanc, une grosse trace de vin rouge. Au sol, le verre, éclaté en mille morceaux. Et merde.


[notif]# Désolé pour le mois dernier, mec. T’aurais dû me dire que j’avais agi comme un connard.[/notif]
[notif]# Tkt. J’étais pas bien non plus mdr[/notif]


Le lendemain -

Allez …

Il glousse en enfilant les lunettes. Aspiration. Ouh, il va vite s’habituer à cette sensation !
Il atterrit en plein cœur du dernier gala auquel il a assisté. Aussitôt, les rires pleins de richesses, les verres de champagne, la décoration luxueuse le happent.

C’est sur une serveuse que son attention est portée. Une blonde canon qui lui fait les yeux doux depuis son arrivée. Après de longues minutes d’échanges de regards à travers les discussions mondaines, il la suit.

Dans un couloir, il attrape son poignet. Elle sursaute, en fait tomber son plateau. Il se souvient pas de ça. Encore moins du regard qu’elle lui lance. Son sourire est faux, inquiet. Et Jakob la tire vers lui.

Monsieur, je dois travailler …
Allez … On est juste tous les deux …
S’il vous plaît …

Elle est raide comme un piquet, essaie de s’esquiver avec politesse, mais il insiste, tente de l’embrasser. Attrape sa taille. L’emprisonne dans sa poigne.


Et il revient dans son salon. Choqué.

Putain qu’est-ce que j’ai foutu …

Il était persuadé qu’il était sobre ce soir-là. Et il est d’autant plus persuadé d’être un mec bien. Est-il vraiment du genre à dépasser les bornes comme ça ?
Les lunettes sont posées, loin. Le cœur au bord des lèvres, il regarde autour de lui, une impression de solitude extrême sur ses épaules.

Qu’est-ce que j’ai foutu …


Plus tard -

C’est presque un automatisme. Se poser dans son fauteuil, remettre les lunettes qu’il n’avait pourtant plus envie de toucher. Une envie, viscérale. Il est terrifié par sa propre personne, par des souvenirs qu’il a l’air d’oublier. Est-il en train de virer psycho ? Est-ce que c’est de la cyberpsychose ? Ou est-il juste un malade depuis tout ce temps, sans jamais l’avoir su ? Sans jamais avoir eu personne pour lui mettre la plus grosse mandale de sa vie pour le calmer ?

Ses mains tremblantes l’envoient dans un souvenir au hasard.

Pas le pire souvenir. La lumière de sa chambre est tamisée, rouge, est une femme se tient au-dessus de lui, à califourchon, le chevauchant avec passion. Ses gémissements emplissent le crâne de Jakob. Il se détend, laisse défiler le souvenir, se laissant prendre dans le moment.

Ses hanches accompagnent son mouvement. Ses mains glissent sur le corps de cette déesse, remontent jusqu’à ses seins, caressant les épaules pour venir enlacer la gorge frêle. Elle penche la tête en arrière, toute offerte à lui.
Mais son attitude change. Elle attrape les poignets de Jakob, essaie de se détacher de son emprise. Son corps cesse d’onduler, s’agite, ses gémissements se transforment en halètements étouffés. L’étau se referme.
En un instant, elle est plaquée contre le lit, surplombée par la stature de l’homme. Elle se débat, griffe, frappe.

Et la lutte s’arrête. Jakob s’entend respirer. Une grande expiration alors qu’il libère sa poupée désarticulée et descend du lit. Calmement, il sort de sa chambre, descend l’escalier. La démarche est mécanique. L’apaisement grouille dans son sang.

Il se suit jusqu’à son salon. S’installer dans son canapé. Prendre les fameuses lunettes.

Quand il les pose sur son nez, il les retire brusquement.

Et observe autour de lui.

Confus.

Tout est calme.

Il déglutit, n’ose pas bouger.

Un hologramme apparaît devant ses yeux, la caméra de son entrée. On se présente à lui.

Assurance CRISIS. Ouvrez immédiatement cette porte.

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